La Tannerie

14 / HELLO DOLLY

Du 25 mai au 07 juillet 2019

Exposition exceptionnellement fermée les 28 29 et 30 juin

FRANCK MAS

Dramaturge, Metteur en scène, Scénographe, Artiste-plasticien.

Le texte comme matière, matériau

re-lire, re-lier, interroger :

Le mot – la lettre – le symbole – la notation

Dans le théâtre et son double, la vision d’Artaud est celle d’un théâtre non seulement libéré de la littérature et de la psychologie, mais d’un théâtre qui retrouverait l’efficacité originelle et magique (c’est-à- dire créatrice de réalité) d’un langage de signes unifié, réconciliant enfin le corps et l’esprit, l’abstrait et le concret, l’homme et l’univers, l’interne et l’externe.

« L’acteur porteur de signes, est au centre : son souffle et son corps sont à la base de cette nouvelle grammaire, ils en animent les « hiéroglyphes ».

Artaud se tournera vers l’Orient pour trouver de nouveaux modèles – vers ces cultures « synthétiques » et unitaires où les formes ne sont jamais séparées des forces qui les animent.

Un théâtre qui briserait le langage pour toucher la vie, ce serait cela « faire » ou « refaire » le théâtre, et l’important est de ne pas croire que cet acte doive demeurer sacré, c’est à dire réservé – mais l’important est de croire que n’importe qui ne peut pas le faire, et qu’il y faut une préparation. «  [ … ] in Esthétique théâtrale – de Platon à Brecht – Borie, Monique, 1992 –

C’est à cette matière, sujette à être perpétuellement interprétée, sculptée, que Franck Mas souhaite nous sensibiliser. Dans sa pratique scénique, il est déjà question de ce passage entre une « matière » qui est le texte et son interprétation plastique.

Le texte qui traditionnellement se déploie sur la scène par l’entremise de l’acteur ou d’un récitant, est déporté vers une interprétation plastique, parce que pour lui, l’image sur le plateau véhicule plus de sens que le mot – l’image va convoquer des zones plus archaïques, plus reptiliennes, plus primales.

Poussé par ces convictions où le metteur en scène est dans une forme de répétition permanente qui, in-fine, invalide le sens, et ne questionne plus rien, Franck Mas, replongeant dans la matière du texte, propose de revenir à la structuration première du texte : l’alphabet – qu’il définit comme le « degré zéro »

L’ALPHABET COMME MÉTHODE – L’ordre alphabétique comme structure.

Dès lors, plus un millimètre de subjectivité, plus de brèche dans l’interprétation, voici son prisme de lecture infaillible : aucune projection, aucun ego, aucune subjectivité : l’essence, la quintessence – une sorte « d’absolu » du texte.

C’est l’image du texte qui, passé par le feu de l’alambic, est refroidi avant de devenir essence, pour libérer son arôme, sa vibration.

– le choix de L’Avare de Molière –

Une condamnation à perpétuité… parce que le monde du théâtre perpétue la tradition d’un texte qui à force d’être joué et interprété plusieurs milliers de fois a perdu de sa saveur et de sa substance et n’arrive plus à se réinventer, l’artiste va réinterroger le texte, sa substance, sa cohérence jusqu’a son évanouissement.

Cette pauvreté d’esprit, cette absence intellectuelle, cette paresse à interroger, à questionner… voilà les attributs que l’artiste attribue à l’avarice et la raison de son choix –

Il s’agit d’un état des lieux de la désolation…

Alors méthodiquement, en un seul geste, radical, il va choisir de consigner en ordre alphabétique, mot à mot, sous la forme de registres, l’ensemble des répliques de chaque personnage pour en faire, en même temps que des portraits graphiques, une interprétation sous la forme d’une performance, dans laquelle l’artiste donnera à vivre à son public une « forme d’exclusion », ce qu’il définit comme l’anti-narration.

Entendre là aussi l’exclusion et la mise en abîme du texte à la frontière du supportable, comme une glossolalie : un manifeste de l’absurde, un appel à sortir de la torpeur, une nécessité d’éveiller sa conscience, et peut-être de manière sous-tendue, l’espérance d’extraire de cet ordre une autre cohérence, d’en révéler une composition secrète, mathématique. A la manière d’un alchimiste, travailler la matière du texte pour en faire jaillir sa lumière.

Ainsi, les interprétations de L’Avare vont prendre les formes suivantes :

  • «un monochrome alphabétique»

La pièce entière L’Avare mis en ordre alphabétique – C’est l’essence, le parfum de L’Avare – format 80 x120cm – Une sorte d’Absolu

  • «les gélules de L’Avare»

Chaque mot consigné selon le nombre d’occurrences d’apparition est encapsulé – Une « mise en boîte » – un pilulier – une réduction

  • Monochromes en Braille de Frosine – les 13 personnages de L’Avare – 1 est muet –

13 Monochromes -format 57 x 77 cm – sur papier vélin reprenant le classement alphabétique comme méthode

  • Une performance sur deux tableaux noirs (2m long x 1,20m haut) pendant toute la durée de l’exposition.

L’une pour L’Avare de Molière dans sa déconstruction-reconstruction alphabétique.

L’autre performance, nous demande de replonger dans la réflexion de l’artiste sur la notion de texte et d’interprétation. Où est La Vérité ? Y a t’il une Vérité ?

De la même manière qu’il envisage le texte de théâtre comme une matière à être perpétuellement interprétée, à être sculptée sans cesse, il pose sa réflexion sur le texte de La Bible de Jérusalem, parce qu’il représente en lui -même dès son origine « l’archétype » du texte, sujet à interprétation.

Se font jour les concepts de répétition et de différence – se posent les questions autour de la « matrice première » et pointe la contradiction entre le fait qu’il n’est pas possible de se référer à un texte original, mais à une matière qui a été déjà refaçonnée, et en ce sens déjà sujette à réinterprétation, et qui le demeurera encore et encore. On parle ici d’exégèse biblique.

Dans sa pratique plastique, il y a quelque chose d’un attachement à une routine quotidienne, visant à rendre « ordinaire » l’activité picturale.

Dans l’ouvrage, Penser la peinture, de Simon Hantaï – ed Gallimard – il est dit de la toile Ecriture rose de Hantaï – que le peintre aurait pris modèle sur la pratique d’exercices spirituels, notamment dans la mesure où la toile, le format, constituerait le cadre à une forme de récapitulation de sa vie et de son œuvre jamais accomplie, toujours en devenir.

Le 30 Novembre 1958, premier Dimanche de l’Avent, Hantaï entreprend la transcription du cycle annuel de la liturgie catholique, recopié jour après jour dans l’Edition de 1953 bilingue (française et latine) du missel quotidien romain.

A la fin de l’année, Hantaï avait reporté sur la toile « Ecriture Rose » les textes de l’Ancien et du Nouveau testament, mais aussi de longs extraits de Hegel, Heidegger, Kierkegaard, de Freud, de Saint Augustin… entre autres.

L’encre du jour, blanche, rouge, verte, violette ou noire était choisie en fonction du cycle chromatique symbolique de l’église, qui assigne une couleur à chaque messe du calendrier liturgique. Alors qu’aucune encre rose n’a été utilisée pour sa réalisation, cette couleur domine quand on observe la toile à une certaine distance, c’est pourquoi elle porte aujourd’hui un titre annexe Ecriture Rose.

Peut-on oser dire alors, qu’il s’agit là d’une « émanation », d’une « vibration », singulières, et que la couleur du texte, rapportée au calendrier liturgique est de couleur rose… Il s’opère une alchimie du texte, de la toile, et de la couleur, un de ces « lieux » si chers à Hantaï.

 » En imposant à sa main l’exercice de la copie, Hantaï manifeste sans doute le désir de prolonger l’acte pictural, de contrarier la spontanéité de l’abstraction gestuelle tout en déjouant l’expression d’une voix personnelle : le peintre a beau faire, aimait-il à dire, « c’est la toile qui dit « oui » ou « non ».

L’acte d’écrire, comme ailleurs celui de peindre, devient l’unité de temps. Cette notion du temps, le cadre du temps, est au cœur de l’œuvre de Franck Mas. Assis à sa table, il est comme l’artisan sculpteur, répétant le geste qui façonne, qui organise, discipline, fait apparaître une forme, en même temps que le témoin de l’inéluctable progression du temps – Cette conscience du temps de vie est au centre de sa pratique quotidienne : J’ai rendez-vous avec mon « temps d’éveil au Monde » dit -il, reprenant les mots de son ami Colin Roche.

Et parce que cette conscience de la temporalité, le confronte à une fin, une fin qui l’obligerait à mettre un point, il a le projet de léguer son œuvre, son « geste alphabétique », pour s’inscrire résolument dans une forme d’inachevé permanent, d’infini, de continuation, de passation, d’héritage.

Ce travail convoque une dimension métaphysique, … ni commencement… ni fin

D’ailleurs, peut-on dire devant l’absence de ponctuation, qu’il y a ici l’expression d’une urgence : le point, la virgule, sont des pauses, des silences, des suspensions, dans lesquels se glissent les émotions et les interprétations – Entre deux mots, une respiration peut interroger, appuyer, qualifier… et c’est précisément cette dimension que Franck Mas veut éviter – Et dans ce point « zéro » qui interroge le sens, le temps, il y a aussi quelque chose de « néo-baroque » par la manière d’occuper tout l’espace, de remplir obsessionnellement le vide pour faire face à l’angoisse de la mort ou d’une forme d’arrêt.

Ici, point de respiration, point de repos : l’empreinte est fine, rapide, sans discontinuité, comme la pulsation du rythme cardiaque.

Et même si le choix du Braille, comme « manière » d’effacement du sens du texte, interdit à l’œil inexpérimenté la lecture, il se dégage de ces œuvres une forme de calme et de paix. Il y a quelque chose d’ancestral, de runique, dans ces stèles de papiers marqués, qui nous rappelle à l’origine : celle de laisser une trace de notre passage, encoder pour transmettre.

Pietro Seminelli

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Franck Mas

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