La Tannerie

19 / LA CONFIANCE

ΕΜΠΙΣΤΟΣΥΝΗ

La Tannerie_Expo_La Confiance_Eric Stephany_18
17 septembre au 30 octobre 2022

LA CONFIANCE / ΕΜΠΙΣΤΟΣΥΝΗ

Accordée ou perdue, partiellement ou pour toujours, la confiance connaît plusieurs variables pré-déterminant son apparition comme sa disparition. 

L’exposition éponyme d’Eric Stephany consacre plusieurs années de recherche mêlant pratiques d’atelier, d’écriture et d’observation attentive des traces quasi invisibles qui jalonnent nos déplacements et nos rencontres. II porte une attention particulière aux interstices de transition que nous offre la ville. LA CONFIANCE / ΕΜΠΙΣΤΟΣΥΝΗ prend comme point de départ, le hall d’entrée typique de l’immeuble de rapport athénien (le Polykatoikia) que l’artiste envisage comme un lieu de passage où se jouent nos relations de confiance. 

Depuis son atelier athénien, au 8e étage d’un immeuble-parking surplombant le quartier populaire de Victoria, Stephany collectionne, manipule, sertit, des objets à l’usage disparu et à la valeur réinventée. La géométrie intense du paysage urbain révèle une grille de jeu pour l’artiste, produisant ainsi, au gré de ses pérégrinations, une cartographie du reste. Le reste, et de facto la ruine, sont des motifs abondants et répétés à Athènes, ville construite choc après choc. 

Les œuvres d’Eric Stephany entretiennent un rapport direct avec la façon dont nous nous inscrivons dans le paysage urbain tout autant qu’avec nos histoires personnelles et sentimentales. A cet égard, il tente d’associer empathie et architecture depuis 2015 : stupeur, anticipation, amour…chacune de ces émotions est prétexte à la création d’un corpus d’un travail précis et engagé.     

Son exposition LA CONFIANCE / ΕΜΠΙΣΤΟΣΥΝΗ, en Bretagne, vient clore cette recherche après un premier volet dévoilé à Athènes, en janvier 2022, intitulé Les Rivages de la Confiance / Οι ακτές της εμπιστοσύνης. L’artiste y prolonge et accentue une vision romantique et sentimentale d’une production artistique dialoguant avec l’histoire de l’art conceptuel. Sa pratique qui conjugue verbe, action et sculpture rejoint le travail d’artistes comme Félix Gonzalez Torres quand il associe avec Untitled (Welcome), 1997, une pile de paillassons à des artefacts intimes ou encore Richard Serra et sa fameuse Verb List, 1967, dans laquelle l’artiste énumère les différents gestes issus du vocabulaire sculptural.

Installée sur le grand mur de l’espace d’exposition, l’œuvre temporelle et anti-monumentale CALENDRIER / ΗΜΕΡΟΛΌΓΙΟ, 2022 (composée d’impressions couleur, format A4) fonctionne comme une clé de lecture de l’exposition. Chaque impression est une photographie prise par l’artiste selon un protocole strict, des halls d’immeubles athéniens. Véritables lieux de passage à la fois privés et anonymes, ce sont des espaces de rencontre mais aussi les scènes d’un possible risque. En effet, après le vol répété de plusieurs de ses vélos dans le hall de son immeuble, l’artiste a envisagé ce continuum architectural entre espace public et espace privé, comme le décor parfait d’un accord tacite du contrat social.

La colonne est un élément intemporel de l’architecture grecque. A la Tannerie, Eric Stephany construit quatre grandes colonnes qui structurent l’espace. Elles reprennent les proportions des piliers qui rythment les galeries au pied des immeubles d’Athènes. Ils créent recoins et espaces ombragés, véritables seuils où se déploie la vie nocturne et diurne, au pied des halls d’entrée. Dans l’exposition, les colonnes viennent souligner l’architecture préexistante du lieu et de par leur matériau, le bois, font écho aux caisses de transport que l’artiste a fabriquées pour apporter ses œuvres jusqu’en Bretagne. La présence de ces dernières au milieu des sculptures, agit comme un rappel des flux contemporains. Tout comme chaque bien, chaque objet physique ou numérique, les œuvres d’arts sont partie prenante des enjeux économiques et culturels qui agitent la planète. 

Les cadenas et les chaînes font partie du même registre de déplacement. L’espace d’exposition en est scandé. Ces objets qui ont été récupérés, dérobés, voire volés dans l’espace public, portent en eux un double paradoxe. La transformation effectuée par l’artiste (par le polissage, la torsion et l’application de la feuille d’or) efface la violence qu’ils ont subie. Elle atténue les stigmates de l’infraction et de la rupture du contrat de confiance pour n’y laisser que la trace scintillante et mélancolique d’une disparition invisible. L’artiste travaille encore icià partir de restes symboliques, esthétiques et économiques. Les marbres qui y sont associésont des provenances différentes. Les premiers sont issus de l’espace domestique. Ils proviennent de ces mêmes immeubles qui abritent les halls d’entrée. Ainsi est déployée une série de faux restes archéologiques fabriqués à partir d’éviers de cuisine en marbre, abandonnés dans les poubelles de la ville. Le sens et la perception que nous avons de ces restes en est modifié. Ils évoquent l’image d’une ruine contemporaine, en illustrant le passage du temps, faisant le lien entre l’antiquité, le passé le plus récent et le contemporain. L’artiste a nommé ses marbres avec des noms de figures de style aux racines grecques qui marquent la répétition : une répétition linguistique et historique qui renvoie à celle du geste du sculpteur sur marbre. Par ailleurs, Stephany a voulu faire dialoguer les fenêtres du bâtiment de la Tannerie avec d’autres pierres, d’autres marbres. Ceux-ci ont été ramassés le long des rivages de la Grèce. L’artiste pose non seulement la question de leur ancrage (les titres des pièces sont l’indice de localisation, vraie ou fausse, de la pierre sur Google map), de la légalité de leur prélèvement (de l’interdiction de prendre des pierres sur le littoral grec) mais aussi de la question de leur appartenance, vraie ou fausse à nouveau, au récit de l’Histoire. Au fond, jusqu’à quel point faisons-nous confiance à la parole d’un artiste?

Le récit de l’exposition nous offre ainsi un point de vue aux formes multiplesoù chaque œuvre en détiendrait un fragment. Un point de vue sublime donc, sur ce qui nous semble être un panorama retourné sur lui-même, retourné sur la sensation de notre inscription dans l’ici et le maintenant, l’exposition étant visible autant depuis l’extérieur que l’intérieur. L’idée centrale du Lieu, comme sujet et objet, nous renvoie donc à nos propres déplacements, aux rencontres, aux choix que nous prenons, lesquels sont toujours dictés par la confiance.

Florent Frizet

Athènes, Septembre 2022

ARTISTES EXPOSÉS

EN IMAGES

Visite

Making off

DOCUMENTS